Nouveaux enjeux de l’éducation dans les pays du Sud
Introduction
L’état du monde, en particulier du Sud demeure sombre malgré les opportunités qu’offre l’accumulation des ressources par l’usinage des connaissances que nous viennent des sciences de la natures, des sciences sociales et humaines. Les systèmes éducatifs se constituent et se maintiennent pour que chaque génération humaine reproduise ses moyens d’autosuffisance. Les nôtres dans le Sud ne provoquent qu’une situation économique de subsistance et une réalité d’urgence permanente dans tous les domaines. Aujourd’hui la multiplication à l’infini des crises vient doucher l’espérance légitime des peuples à vivre un changement sociétal susceptible d’apporter la justice, la démocratie, le développement durable, la paix véritable partout que défendirent d’ailleurs à juste titre les pères fondateurs de ces principes à travers l’histoire.
La pauvreté, les terrorismes, les dictatures politiques locales, globales, les changements climatiques et maintenant, les crises de santé publique, etc… viennent nous édifier que nos systèmes éducatifs du Sud s’imposent à la transformation de fond en comble pour répondre intelligemment aux immenses défis civilisationnels de notre temps. Même les plus instruits sont à réinstruire par ce que l’UNESCO et son aile scientifique l’IIPE appellent l’apprentissage tout au long de la vie. Les pratiques politiques, sociales, économiques, commerciales, etc… ont constitué au fil des années un gigantesque cocktail social molotov qui ne tardera pas à exploser au nez des auteurs de l’état décadent du monde ; si le Sud ne modifie pas ses pratiques éducatives tant sur les formes d’organisation que de fond relatif aux connaissances et valeurs à distribuer rigoureusement aux nouvelles générations d’élèves et d’étudiants.
Voilà les enjeux de l’éducation qui se retrouve au milieu de nombreuses impasses sociétales dressées sur les chemins du futur de nous tous. Les systèmes éducatifs se fragilisent continuellement par l’effet conjugué de la demande sociale exponentielle pour la formation de la jeunesse, des crises multidimensionnelles et de la faiblesse de leur pilotage au moyen des techniques de gestion moderne. L’axe un de l’actuel échange a pour objectif de cerner ensemble les réelles menaces sur les systèmes éducatifs des pays du Sud. Ensuite l’axe deux conduirait à l’élaboration commune des solutions scientifiques possibles pour la transformation de nos écoles, collèges, lycées et universités en véritable providence d’allocation des sciences, connaissances, valeurs, technologies, techniques, arts, métiers, carrières et de futur pour tous.
1 – Complexe situation des systèmes éducatifs dans le Sud
L’éducation dans les pays du Sud souffrait déjà bien longtemps de programme d’enseignement ne répondant pas à la demande économique et sociale. Aujourd’hui les systèmes éducatifs sont frappés de plein fouet par des crises multidimensionnelles provoquant ce que la Banque Mondiale appelle actuellement la pauvreté des apprentissages.
1.1 – Des systèmes éducatifs en décalage de la demande économique et sociale dans les pays du Sud
L’une des finalités de tout système éducatif est de fournir des compétences aux individus leur permettant de bien s’insérer sur le marché du travail. Au Togo par exemple, on note une inadéquation relativement prononcée entre l’offre de formation et les besoins de main-d’œuvre du marché du travail. Même si le taux de chômage est relativement bas en 2015 (3,4 %), celui-ci cache un fort taux de sous-emploi (24,9 %).
L’orientation scolaire privilégie clairement l’enseignement général au détriment de l’enseignement et la formation techniques et professionnels dans la mesure où les effectifs de l’ETFP ne représentent que 5,8 % des effectifs du secondaire. Cela interroge sur le dispositif d’orientation scolaire ainsi que sur le manque d’informations et de valorisation de l’ETFP au niveau national puisque, par exemple, 56 % des emplois sont agricoles au Togo alors que seulement 0,6 % des apprenants à l’ETFP en 2017 sont inscrits dans une formation agricole. Et dans l’enseignement supérieur, seuls 2 % des étudiants sont dans des filières en lien avec l’agriculture. Il y a donc clairement un problème au niveau de l’offre de formation qui ne semble pas répondre aux besoins du marché du travail.
Les filières scientifiques au lycée sont très peu développées, et de fait également au niveau de l’enseignement supérieur (7 % des étudiants). En revanche, une grande partie des étudiants (73 %) sont inscrits dans des filières moins porteuses sur le marché formel du travail comme le commerce, l’administration, le droit, les sciences sociales, les lettres et arts.
1.2 – Désorganisation et dysfonctionnement avancés des systèmes éducatifs du Sud suite aux crises multiples et multipliantes
A partir des données publiées par l’UNESCO, un milliard d’apprenants voient leur éducation troublée par la pandémie de COVID-19, 617 millions d’enfants et d’adolescents ne savent pas ni lire ni effectuer des calculs simples, quatre millions d’enfants et de jeunes réfugiés ne sont pas scolarisés et 40/% des filles seulement en Afrique noire subsaharienne achèvent leur scolarité secondaire. Jusqu’où la spirale sociale descendante s’arrêterait ?
1.3 – La singularité de la crise de la pandémie de COVID-19 et ses conséquences sur les systèmes éducatifs du sud
En mars 2020, la pandémie du COVID-19 a pris de court les systèmes éducatifs qui n’étaient pas du tout préparés malgré les alertes venues des pays asiatiques, touchés dès le mois de décembre 2019. Dans le monde entier, les fermetures d’écoles dues au COVID-19 ont touché 1,29 milliard d’élèves dans 185 pays, soit 73,8 % de la population étudiante mondiale, selon l’UNESCO -l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture. Sur le continent africain, on estime que 297 millions d’élèves ont été confrontés aux fermetures d’écoles dues à la pandémie. En effet, après une période plus ou moins longue de sidération, il a été décidé de fermer les établissements scolaires de la maternelle à l’université dès la mi-mars, provoquant ainsi une situation inédite pendant laquelle tous les cours en présentiel ont été interrompus.
Un autre élément important à prendre en considération est la nouveauté des formes d’apprentissage hors de l’école qui paraît être un frein pour les enseignants démunis face à la rupture avec leurs pratiques professionnelles habituelles. On leur a demandé d’intégrer ces nouveaux dispositifs sans qu’ils y soient préparés. Certains n’ont pas réussi à entrer dans la démarche. En conséquence, leurs élèves se sont sentis en vacances à la fermeture des établissements.
Conscients de cela et du fait que les ressources au niveau des ministères de l’Éducation nationale sont souvent insuffisantes et ne prévoient pas de telles crises, les partenaires techniques et financiers (Agence française de développement, UNICEF, Save the Children, Plan International, etc.) ont rapidement réagi en apportant une aide financière aux pays dans le financement de leurs réponses COVID. C’est le cas par exemple du Partenariat mondial pour l’éducation au niveau mondial, mais aussi des partenaires techniques et financiers dans la plupart des pays.
Le montant octroyé selon l’AFD – Agence Française de Développement, au secteur pour les pays en développement est de 546 millions de dollars. On ne sait pas si cela a fonctionné.
Malgré l’importance de la mobilisation des ressources sur le continent pour répondre à la fermeture des établissements scolaires, des réflexions plus profondes en matière de financement vont devoir être menées après cette période. Des stratégies innovantes et créatives seront nécessaires pour établir un plan de continuité éducative en cas de nouvelle pandémie ou de toute autre catastrophe. Anticiper ce type de crise permet de mettre en place le plus rapidement et le plus efficacement possible une éducation alternative. Un des enjeux de la réouverture des établissements sera de faire face à cette longue pause dans les apprentissages en présentiel qui a démobilisé beaucoup de familles et que les plus vulnérables puissent retrouver le chemin de l’école. Les budgets nationaux devront prendre en compte les défis traditionnels ainsi que les nouveaux enjeux du système éducatif.
L’épisode pandémique qui a marqué ce début d’année 2020 n’est pas encore terminé. Il risque de se reproduire et de mettre à nouveau les États, et plus particulièrement les ministères en charge de l’éducation, dans des situations difficiles. Il est donc nécessaire d’établir un bilan des différentes actions et d’analyser les plans de riposte élaborés afin d’être davantage préparés à l’avenir et d’assurer à l’ensemble des élèves la continuité pédagogique à laquelle ils ont droit.
Enfin, vu les difficultés d’accès aux médias technologiques, le recours au support papier (manuels scolaires, livrets, fichiers d’exercices, dossiers de leçons, etc.), plus démocratique, est à prendre en compte. Il faut anticiper ce genre de crise pour que ce médium soit disponible dans les écoles et il nécessite que les directeurs, en partenariat avec les instances locales, en assurent la diffusion auprès des familles. Il a aussi l’avantage de présenter une trace écrite, ce qui n’est pas le cas des médias numériques. Cependant, la qualité des contenus n’est pas toujours satisfaisante en raison du manque de formation des enseignants à ce type de travaux.
Les informations recueillies par diverses enquêtes de l’UNESCO, l’AFD et autres montrent la nécessité d’une évolution des systèmes éducatifs tels qu’ils sont configurés aujourd’hui. En effet, c’est dans les établissements scolaires que tout se déroule habituellement, avec des enseignants devant des élèves regroupés dans les classes. Ce modèle a dû momentanément laisser la place à d’autres configurations, avec d’autres acteurs et d’autres rythmes que ceux imposés à l’école. Ainsi, à partir de ce qui a été mis en place dans les différents pays et dans des contextes particuliers, les responsables devront s’appuyer sur les initiatives prometteuses, des actions individuelles parfois qui ont émergé des établissements.
Afin de se préparer pour une éventuelle rupture, il est nécessaire de s’engager dans des réformes en profondeur qui transformeront les systèmes éducatifs, avec notamment une formation des enseignants intégrant le développement des compétences numériques et dans le domaine de l’enseignement à distance. En effet, on peut sans doute envisager de faire de la formation à distance une modalité d’enseignement au moins à temps partiel afin de se préparer à la résilience. Sans ces réflexions essentielles et ces remises en cause, la crise risque malheureusement d’accentuer la fracture éducative entre les régions défavorisées, isolées, enclavées et le reste des pays, notamment les grandes capitales, ainsi que la fracture entre les familles aisées et les plus pauvres à l’angulaire des apprentissages.
1.4 – La pauvreté des apprentissages dans les pays du Sud
Le taux de pauvreté des apprentissages atteint 53 % actuellement dans les pays à revenu faible et intermédiaire selon la Banque Mondiale. En octobre 2021 dernier, la Banque mondiale fixait une nouvelle cible : réduire au moins de moitié la pauvreté des apprentissages à l’horizon 2030. Cela passe notamment par un recentrage des systèmes éducatifs sur l’apprentissage. Préalablement à toute décision, les parents, les enseignants, les directeurs d’établissement, les responsables de district, les autorités municipales et même le ministère doivent se poser la même question : en quoi cela va-t-il améliorer l’apprentissage des élèves ? Ni les intérêts personnels, ni les situations de rente ni les considérations politiques ne doivent éclipser cet objectif. Nous devons veiller à concentrer toutes nos énergies et tous nos moyens à aider les élèves et étudiants à apprendre et pas seulement à aller à l’école et sur les campus. Souvent, cela nécessite un certain nombre de réformes et de politiques systémiques. La stratégie de collaboration de la Banque mondiale avec les pays en matière d'éducation appelle précisément à des réformes pour renforcer les systèmes éducatifs. Elle se décline autour de cinq axes : 1) les élèves et étudiants arrivent à l’école et sur les campus prêts à apprendre et ayant envie d’apprendre ; 2) les enseignants à tous les niveaux primaire, secondaire et supérieur sont efficaces et valorisés ; 3) les salles de classe et amphithéâtres sont équipées pour l’apprentissage en faisant appel aux technologies ; 4) les écoles et universités sont des espaces sûrs et inclusifs ; et 5) les systèmes éducatifs demeurent bien gérés.
Ces réformes sont cruciales pour garantir une amélioration de la qualité de l’éducation durable et globale. Bien souvent, il faudra s’assurer que les carrières des enseignants s’appuient sur la sélection et la promotion au mérite et prévoient un véritable développement professionnel et ce, dès leur formation, avant même qu’ils soient nommés, puis tout au long de leur parcours. Mais les effets de telles réformes sur l’expérience scolaire des élèves mettront probablement plusieurs années avant de se manifester. D’autres changements peuvent être introduits dès maintenant pour transformer le quotidien des élèves et étudiants ; il faut agir au plus vite en utilisant la voie scientifique.
2 – Les solutions scientifiques et techniques à opérer
Les administrateurs de l’éducation ont l’obligation de passer par la généralisation des études et diagnostics sur les systèmes éducatifs avant toute préconisation de solution sous formes de projets éducatifs d’investissement. Il s’agit aussi de faire des universités des pays du Sud les stratégies globales de maintien, de développement et de modernisation des systèmes éducatifs et non des institutions isolées de la Cité.
Le dialogue entre tous les partenaires des systèmes éducatifs à l’intérieur des pays du Sud pourrait s’approprier la méthode de négociation de l’université de Harvard aux Etats-Unis. La méthode de négociation de Harvard a changé ailleurs la vie des institutions éducatives. Elle est basée sur le concept du gagnant-gagnant et cherche à augmenter les chances de succès des programmes et projets éducatifs d’investissement. En quoi consiste cette méthode en quatre étapes ?
Étape 1 : la personne n'est pas le problème
Le plus important est de comprendre que la personne et le problème qu'elle veut résoudre ne sont pas les mêmes. Vous devez donc éviter les préjugés et opinions personnelles pour vous concentrer sur la recherche d'une solution et non sur ce que vous ressentez pour quelqu'un en particulier. Cela peut affecter négativement le processus. Il faut comprendre que le véritable ennemi est le problème, vous devez donc travailler en équipe pour le vaincre.
Étape 2 : intérêts et non positions
Derrière chaque position, il y a un intérêt particulier, vous ne devez donc pas prendre parti, vous en tenir à une position, mais pensez d'abord aux intérêts que vous voulez résoudre et aux besoins à couvrir, ainsi vous pouvez trouver un terrain d'entente et une série de solutions qui satisferont tout le monde.
Étape 3 : bénéfice mutuel
Une fois que vous connaissez les intérêts de toutes les personnes impliquées, il est temps de commencer à réfléchir et à présenter des options, en essayant toujours de vous assurer que le résultat est bon pour tout le monde et qu'il n'affecte négativement personne. Cela peut être réalisé en mettant des idées sur la table, en arrêtant de s'accrocher à une seule réponse et en précisant que vous recherchez une solution avec laquelle tout le monde obtient une part égale des avantages.
Étape 4 : objectivité
L’objectivité reste important dans toutes les négociations et il s'agit là de rechercher un critère juste et indépendant des intérêts de quelqu'un en particulier. C'est difficile à réaliser, car nous sommes programmés pour chercher ce qui est bon pour nous, mais il faut faire un pas à l'extérieur, penser la tête froide et oublier ce que l'on veut pour se concentrer sur ce que tout le monde recherche. De préférence, ils devraient avoir des critères mesurables, vous permettant de savoir si tout le monde reçoit le même traitement.
Conclusion
Les systèmes éducatifs dans le Sud terrestre aujourd’hui global, sont durement touchés par des crises de dimension structurelle, économique, sécuritaire et sanitaire. Faire de l’instruction publique un moyen d’indépendance et d’autosuffisance individuelles et collectives constitue le paramètre de base de l’éducation dans nos pays en développement. L’école, le collège, le lycée et l’université ne doivent pas être un gouffre de gaspillage de temps et des ressources pour l’Etat, les ménages et autres partenaires. Pour le réaliser les moyens scientifiques et techniques existent en vue de faire des systèmes éducatifs des sources de solution aux crises, des sources de production économiques et sociales pour satisfaire les besoins.
ALEZA Sohou, Université de Lomé.
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